Opticien Balaruc-le-Vieux Cc Carrefour - Krys
Marion V
La perspective d’une moitié de la population myope en 2050 pourrait faire sourire. Après tout, cela fera juste plus de personnes avec des lunettes, puisque nous avons la chance d’avoir accès à des corrections optiques. Mais l’augmentation du nombre de myopes ira aussi avec une augmentation des cas de myopie forte, présentant des risques de complications telles des décollements de rétine pouvant mener à la cécité. Les projections indiquent ainsi que près d’1 milliard de personnes seraient touchées par ces myopies graves d’ici 25 ans. Pour les enrayer, il faudrait pouvoir ralentir la croissance de l’œil. Mais les approches pharmacologiques ont jusqu’ici donné des résultats mitigés. Une autre solution pourrait peut-être venir d’une correction optique. Explications avec le Dr Olivier Marre, porteur de la chaire industrielle Myopia Master, qui s’intéresse à cette piste.
Dr Olivier Marre, directeur de recherche Inserm, chef de l’équipe "Circuits rétiniens et computation" à l’Institut de la Vision, Paris.
Au cours de notre croissance, l’œil grandit lui aussi, ce qui modifie son système optique. Tout au long du développement, ce système se réajuste donc pour que l’image captée par l’œil se focalise sur la rétine, et non pas en avant ou en arrière. Ce processus est extrêmement contrôlé, et même autorégulé. Ainsi, des expériences sur des modèles animaux, avec des lentilles forçant le focus hors du plan de la rétine, ont montré que la correction optique avait un impact sur la croissance de l’œil. La rétine semble donc capable d’analyser ce qu’elle reçoit, et d’ajuster sa vitesse de croissance en fonction de la netteté de l’image perçue. « Ceci a fait se dire à un certain nombre de personnes qu’il devrait être possible, en changeant la correction optique qu’on met devant l’œil, de contrôler, et donc de limiter sa croissance » contextualise le Dr Olivier Marre. Et ce d’autant plus que, de ce qu’ont compris les chercheurs à ce jour, ce serait à priori les informations reçues sur la périphérie rétinienne qui assureraient cette autorégulation.
Un certain nombre d’industriels de l’optique se sont donc attelés à proposer un verre optique qui conserve la même correction au centre, responsable de l’essentiel de la vision, mais dont les aspects optiques périphériques sont modifiés pour tenter de freiner la croissance de l’œil. Les premiers de ces verres ont été commercialisés ces quelques dernières années. Du côté des partenaires du Dr Olivier Marre, les résultats du suivi de près de 60 enfants, de 8 à 13 ans, indiquent un ralentissement de l’élongation de l’œil en comparaison avec des verres correcteurs classiques. « Dans le meilleur cas, le taux de croissance a pu être divisé par deux, ce qui est très encourageant », précise le Dr Olivier Marre. Pour autant, le problème n’est pas réglé, car l’œil continue tout de même à trop s’élonger, et que les performances sont assez hétérogènes selon le patient, probablement du fait de différence entre leurs optiques. « Ce qui est sûr, commente le Dr Olivier Marre, c’est qu’il y a un effet, et qu’en changeant les optiques, on peut ralentir la croissance de l’œil. Le souci, c’est qu’on ne comprend pas pourquoi ». Comment la rétine traduit-elle une analyse de la netteté de l’image en signal d’accélération ou de ralentissement de sa croissance ? C’est pour répondre à cette question que le Dr Olivier Marre s’est lancé dans l’aventure. Avec une application très concrète en tête : « Si on comprend mieux le mécanisme, on devrait pouvoir optimiser le design des verres, voire même de l’adapter à chaque patient pour obtenir d’encore meilleurs résultats ».
"La correction optique elle-même peut changer la croissance de l'œil"
La question est loin d’être triviale. En effet, de nombreuses étapes, cascades de signalisation, protéines et peptides sont très probablement impliquées. « On a une idée de quelles cellules de la rétine sont susceptibles d’envoyer les signaux », précise cependant le Dr Olivier Marre. Mais la façon dont ces cellules reçoivent l’information visuelle, la traitent et en extraient l’information sur le positionnement du focus est encore un mystère. Pour le lever, le Dr Olivier Marre, ses collaborateurs à l’Institut de la Vision et ceux du département R&D d’Essilor ont obtenu, en décembre 2022, une chaire industrielle de l’ANR, pour une durée de 4 ans. Leur angle d’attaque : s’intéresser à la façon dont la rétine réagit lors d’un changement de correction optique. En projetant à l’œil des séries d’images présentant des corrections optiques différentes, en même temps qu’on enregistre la réponse de la rétine, il est possible de déterminer quelles cellules sont impactées par quel type d’image, et comment. Grâce aux modèles d’induction de myopie développés par la Dr Christina Zeitz et son équipe, un des groupes de travail du projet Myopia Master s’attelle également à élucider une question complémentaire. Celle-ci pourrait être résumée ainsi : « Est-ce qu’une rétine myope traite l’information de la même manière qu’une rétine normale ? ». En effet, la rétine myope est soumise à un influx visuel différent de celui qui atteint une rétine normale. Cela modifie sa croissance, ses réseaux de signalisation… Sur le long terme, cela a probablement un impact sur le traitement de l’information, et donc des conséquences importantes pour trouver une solution optique à la myopie.
L’objectif ultime serait de pouvoir construire un modèle capable de prédire, en fonction des paramètres d’une correction optique, la façon dont la croissance de la rétine sera impactée. Les premières étapes sur ce chemin constituent donc dans un premier temps, sur la base de l’enregistrement des réactions des cellules ganglionnaires à des scènes naturelles floutées avec différentes corrections optiques, d’obtenir un résultat qui soit généralisable. Ensuite, il faudra aller tester de manière spécifique les cellules qui sont suspectées d’être responsables du signal d’arrêt de la croissance, pour déterminer quelles sont les corrections optiques qui les stimulent le plus. Ces cellules étant situées plus profondément dans la rétine, et donc assez difficile d’accès, cela demandera de passer sur un autre type de technique, à travers des collaborations avec notamment Valentina Emiliani (Institut de la Vision). Si beaucoup de personnes travaillent depuis longtemps sur la myopie, et se sont intéressés de près aux mécanismes de croissance de l’œil et à l’impact de la correction optique, l’angle proposé par le Dr Olivier Marre et ses collaborateurs a ceci d’original qu’il découple le problème en expérimentant uniquement sur la rétine, la partie optique étant entièrement simulée par informatique, ce qui permet de jouer très facilement avec les différents paramètres de ces modèles.
A termes, ce travail devrait permettre de proposer, idéalement très précocement, des corrections frénatrices aux enfants myopes, pour limiter le développement de leur myopie. Si la solution est prophylactique, et pas curative, elle n’en est pas moins essentielle vu le manque criant de prévention ces dernières décennies, qui a mené à l’explosion de myopie infantile qu’on constate actuellement. Et l’enjeu, de santé publique et industriel, est planétaire. Ainsi, la Chine, particulièrement concernée puisque 50 à 60% de ses enfants sont déjà atteints de myopie, a fait de la lutte contre ce défaut visuel une grande cause nationale.
Un institut français de la myopie à la fondation Rothschild
LE SAVIEZ-VOUS ? En mars 2024, l’Institut Français de la Myopie ouvrira officiellement ses portes rue Mathurin-Moreau, dans le 19e arrondissement de Paris. Dédié à la prise en charge de la myopie à tous ses stades, de la prévention jusqu’à la chirurgie et à l’accompagnement de la base vision, il accueillera en fait ses premiers patients dès le mois de septembre 2023. Cette ouverture en deux étapes permettra le bon dimensionnement des équipes techniques et médicales à recruter, pour pouvoir à termes assurer le suivi de 30 000 patients à l’année.
Propos recueillis par Aline Aurias
Avec déjà plus de deux milliards d’individus atteints de myopie dans le monde, ce trouble de la vision continue de se répandre à travers la planète.
On estime aujourd’hui à 2,6 milliards le nombre de personnes atteintes de myopie dans le monde, un trouble visuel dont la prévalence n’a cessé d’augmenter ces dernières décennies.
Marion V
Elisabeth G
Anne-Laure P
Aurélie C